Il y a un début à toute histoire.
<< Je commence à réaliser que ce n'est pas un hasard si nous enseignons toujours l'Art du Combat malgré la paix de ces derniers siècles. >>
Thanaï.
Il était encore tôt. La plaine parsemée de petits éclats de roche se teintait à peine de vermillon et d’orange et la lueur flamboyante du Soleil de la saison des feuilles mortes commençait à emplir le paysage des particules de feu qui illuminaient l’horizon. Les plumes des grands rapaces qui débutaient leur chasse semblaient s’enflammer sous l’incendie, les transformant en de sublimes météorites au vol calme. Ils assuraient des cercles méticuleux au dessus de cette immense réserve de nourriture qu’était la plus vaste des plaines de Xylenë : la Rammélie. Celle-ci ne se résumait pas uniquement à l’étendue de gravillons gris. Faire le tour de cette contrée en suivant les douces caresses de la brise matinale n’aurait suffit pour en définir l’ampleur et la majesté. Un vent encore tiède pour la saison frôlait paresseusement les petits rochers qui peuplaient l’étendue sèche et plane, qui semblaient s’embraser en cet instant alors que la plaine était habituellement d’un gris morne. Il était probable que la douceur de l’air soit due à la présence d’Erac’Tal, la gigantesque chaîne rocheuse qui séparait la Rammélie du reste des parties habitables de Xylenë, et retenait la chaleur des journées. Ses pics, dont les plus connus étaient Patga, la Petite, et Gata, la Grande, montaient à 105 mètres pour l’une et à un peu plus de 3 500 mètres pour l’autre. Ils s’ornaient par endroits d’une robe d’un blanc éclatant. Pas un nuage ne meublait le ciel habillé d’un orange pastel. Un silence paisible régnait jusqu’aux troncs de l’étendue ombragée et feuillue qu’était Gakhe. On percevait tout juste le délicat frisson des champs de céréales attendant la dernière récolte de l'année. La région était encore endormie.
Mais un vague bruissement sec résonna, se répercutant faiblement sur les milliers de petites roches au nombreuses faces qui s’étalaient sur le sol, troublant le silence. Il s’intensifia, petit à petit, comme s’il se rapprochait. Et ce faisant, on commençait à en deviner la provenance. C'était quelque part, là où le regard pouvait se poser sur les chaînes d’Erac’Tal, là où la nuit étalait encore son règne. Mais un doute persistait malgré tout sur son origine. Les échos perturbaient la localisation. Mais au fur et à mesure il devint certain que quelque chose se rapprochait, et le son se précisa peu à peu. Le crissement des roches les unes contre les autres, ainsi que le bruit mat de la marche pressée d’un animal très familier à cette région de la petite planète. Lentement, une silhouette se profila. Lointaine, floue, aléatoire. Elle avançait toutefois avec une grande rapidité. Mais elle ne devînt concrète et identifiable qu’à une distance vraiment proche, du fait de l’ombre de la chaîne montagneuse qui persistait encore sur l'étendue rocheuse. Ce fut donc sortant de la nuit, et pénétrant dans le flamboiement de l’aube, qu’un cavalier galopant sur sa monture fut distinguable. Ils galopaient à grande vitesse, tellement vite qu'il semblait que l'animal ne touchait pas le sol. Et plus ils avançaient, plus la certitude concernant le sexe du cavalier se faisait. Une silhouette fine et élancée, une attitude souple et décontractée, une tenue d'un blanc éclatant, et également une longue chevelure volant au vent. Soit l'homme qui chevauchait avait une allure très féminine, soit c'était bel et bien une femme.
Montée sur le dos d’un tivyenn, la jeune femme goûtait la fraîcheur de l’air, et s’imprégnait des odeurs nouvelles et riches où se mêlaient le sec de la terre poussiéreuse que soulevait le galop de sa monture, le crissant et râpeux de la craie, le piquant glacial des neiges des hauts sommets, la tièdeur des champs et l’humide et tendre parfum forestier de Gakhe. Elle ouvrit les yeux pour admirer ce paysage si différent de ceux qu’elle avait connu auparavant. La différence majeure était la présence de la nature. Elle venait de la plus grande cité de la partie habitable de Xylenë : An’Tano. Ce nom plutôt ridicule pour une capitale, « L’Humain » en ancien Xeÿnn, inspirait pourtant l’admiration. Il était promesse de gloire, de richesses ou d’une vie meilleure pour une majorité de la population vivant dans de petits villages. Là-bas, le luxe était présent partout, les échoppes et boutiques diverses peuplaient les rues, au moins autant que les passants. On croisait de tous les types d’humains à travers la cité. Et là-bas, les seules preuves que la nature existait bien, étaient les jardins luxuriants des très riches propriétaires, ainsi qu’un immense parc public. Mais ce n’était évidement pas comparable à ce qu’elle voyait, à ce qu'elle ressentait maintenant.
Elle retenait derrière son excitation la fatigue du long voyage qu’elle avait entrepris à travers Xylenë pour venir jusqu’ici. Elle s’était arrêtée bien tard la veille, tenant absolument à traverser la chaîne montagneuse en une seule fois. Et elle s’était levée bien avant l’aube, trop enivrée par la proximité de sa destination finale. Elle s'était alors lancée dans une course contre le levé du soleil. Ce qu’elle venait faire ici, peu de personnes avaient osé en faire la demande, bien rares se trouvaient les gens qui en ressentaient l’envie à vrai dire, et exceptionnels étaient les cas où ces demandes avaient été suivies d’une réponse positive. Elle, elle l’avait eu son oui. Jamais elle n’avait été si heureuse que lors de la réception de sa réponse. Elle sentait qu’elle était de ces gens, ceux qui avaient un destin incroyable, ces personnes d’exception, qui marquaient l’histoire, les mémoires, et qu’elle possédait des capacités non négligeables. Et il lui fallait le meilleur des entraînements. Le meilleur, pour la meilleure de la cité. Et ce qui caractérisait la Rammélie, plus que son paysage unique, plus que sa vue incroyable sur les montagnes, plus que la beauté mystique de Gakhe, c’était le peuple qui y vivait. Les plus grands noms de Xylenë étaient, pour la plupart, originaires de ces plaines. Abyr, Vlex ou encore Phomme, tous de grands Iyds, tous avaient eu une destinée fabuleuse, tous avaient marqué l’histoire de leurs exploits. Et elle voulait en être, ou au moins suivre leur formation, marcher dans leurs pas. Tel était son unique et ambitieux rêve.